Non l'extrême droite n'est pas républicaine, anti-raciste, universaliste et laïque !
- coudesacoudes1
- 21 juin 2024
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Dernière mise à jour : 15 sept. 2024
par Soulef Bergounioux

Il est évident que cet article n’entend pas ouvrir les yeux de ceux qui ne veulent pas voir l’horreur, c’est-à-dire l’enjeu civilisationnel qui se joue les 30 juin et 7 juillet 2024, parce qu’il remet en cause leurs convictions les plus profondément enfouies, et questionne leur attachement indéfectible à l’ordre établi.
Parce qu’ils sont viscéralement attachés à la hiérarchie sociale, c’est-à-dire à leurs privilèges, qu’ils considèrent normal le recours à la violence symbolique la plus dure, la plus sèche, au point de prendre le risque d’accentuer, en le légitimant, le processus de « décivilisation » en cours – autrement dit la levée des autocontrôles qui jugulent les affects de violence – et, partant, autorise le recours à la violence haineuse et stigmatisante à l’encontre des minorités et de leurs soutiens.
Depuis 2022, la multiplication des représentations déshonorantes, dégradantes, humiliantes, les décisions iniques et vexatoires à l’encontre des minorités et des groupes politiques hétérodoxes se multiplient au point d’envahir le champ politique et la société, sans que cela ne semble aucunement émouvoir les beaux esprits, pourtant si prompts à condamner les manquements à la bienséance bourgeoise.
Face à un tel déferlement de haine et de violence, le mutisme ne saurait être une option. Il est temps de prendre part aux agitations du monde. Hier comme aujourd’hui, il consiste, a minima, à déconstruire les croyances qui fondent l’ordre social, un ordre profondément inique, qui, pour se maintenir, s'abaisse à la violence sociale la plus abjecte.
S’il est évident que l’autonomisation des sciences humaines et sociales à l’égard des pouvoirs politiques et économiques a nécessité des luttes de longue haleine, et que leur existence en tant que science, ne saurait être fondée sans objectivité scientifique, cela ne doit pas se traduire par l’effacement social de l’historien.
En ces jours particulièrement sombres pour la démocratie et la défense des droits humains, je fais miens les mots de l’historien Daniel Roche, prononcés lors de sa leçon inaugurale au Collège de France : « si nous n’avons pas la clarté et la clairvoyance pour dénoncer les massacres lointains et l’inhumanité proche, nous avons les moyens intellectuels et les références philosophiques nécessaires pour penser le monde comme un ordre, en même temps que nous devons tenter d’échapper à la fatalité du mal et ainsi tomber dans le relativisme de l’abîme et de l’absurde. »
L’humanité qui nous habite est contraignante pour quiconque entend assumer ses obligations scientifiques et éthiques. Les « moyens intellectuels » et les « références philosophiques » dont disposent historiens, sociologues, philosophes, etc., les obligent. À rebours des « intellectuels médiatiques » – que le sociologue Pierre Bourdieu se plaisait à qualifier très justement de doxosophes, de savants demi-habiles, ne trompant guère que leur semblables, « journalistes, hommes politiques » et autres « savants apparents des apparences » –, l’historien doit refuser de conformer ses analyses aux perspectives dominantes, omniprésentes au sein du champ médiatique.
Il faut en finir avec l’inconscience d'un cynisme triomphant, l’ignorance et l’inconséquence des « intellectuels de l’absurde qui n’ont pas disparu de l’histoire. »
Force est pourtant de constater que le cynisme continue de façonner le comportement des doxosophes et hommes politiques qui, abandonnant tout repère moral, tout principe, nient des siècles d’histoire politique en renvoyant dos-à-dos l’extrême droite et la gauche, réunie dans le Nouveau Front populaire, dans le seul but de se maintenir au pouvoir.
Le flot d'injures déversé à l’encontre de ceux qui refusent de partager leur lecture essentialiste du monde, n’en sont que l'expression objective. À les écouter, les revendications « communautaristes » des minorités dans les « quartiers » expliqueraient, à elles seules, la montée de l’antisémitisme, de l’homophobie, de la transophobie, et du racisme, bref le délitement de la société.
Rien à voir, donc, avec la montée de l’extrême-droite ou encore la présence de milices néo-fascistes dans de nombreuses villes en France ! Les responsables, ce sont ceux qui luttent et, en premier lieu, ceux qui, depuis 2022, n’ont eu de cesse de « bordéliser l’Assemblée nationale, d’hystériser le débat public », en somme la gauche !
La crise politique profonde dans laquelle s’enfonce le pays, n’est donc pas liée à l’hyper-concentration du pouvoir entre les mains d’un homme seul, lui permettant de déstabiliser un pays tout entier car c’est son bon vouloir !
Une telle violence ne semble plus guère émouvoir. Produire et imposer des modes de pensée et d’agir qui reposent sur un essentialisme primaire est parfaitement intégré par nombre « d’intellectuels médiatiques » et de politiques qui ne trouvent rien à redire à la brutalisation continuelle d’un peuple en proie à une profonde crise morale.
Dénoncer cette atmosphère nauséabonde est donc une urgence vitale. Elle implique de rappeler quelques éléments factuels, historiques, essentiels à la compréhension des enjeux politiques actuels. Pour ce faire, le retour à la genèse de notre modernité politique, en l’espèce la Révolution française, est nécessaire.
J’en reviens donc à la question de départ : l’extrême droite et la gauche, qualifiée d’extrême par ses opposants, sont-elles la face et le revers d’une même médaille ? Faut-il mettre sur un même plan extrême droite et gauche, du moins cette gauche qui, cédant sur ses principes en raison d’un prétendu « clientélisme électoral », abandonnerait l’idéal émancipateur et universaliste républicain ?
Les présupposés à peine voilés que supposent pareils questionnements sont indispensables à la légitimation de la position centrale de l’axe libéral-conservateur. Il n’y a pas jusqu’au nom de la « coalition centriste » – « Ensemble » – et son slogan – « Ensemble pour la République » – qui ne viennent le rappeler.
Pour se maintenir, cet « extrême centre » est contraint d'exacerber perpétuellement les luttes au sein des courants politiques traditionnels de droites et de gauches. Pour le dire autrement, la position du bloc central dépend de la conflictualisation et de l'hystérisation du jeu politique. De la montée des tensions dépend donc son existence politique. Or, c’est précisément cette mise en tension continuelle de la société qui explique la crise actuelle du régime, et la profonde déstabilisation du jeu politique.
Il en résulte un effondrement des repères politiques, et partant une confusion d'idées telle qu’il semble, aujourd’hui, possible de nier la violence, le racisme, l’antisémitisme de l’extrême droite, et de conspuer le « Nouveau Front Populaire », après LFI, comme « ambigüe sur les valeurs », « communautariste », homophobe, antisémite et j'en passe !
Par un prodigieux renversement de paradigme, les réactionnaires, épaulés par les libéraux-conservateurs, entendent désormais se présenter comme une avant-garde intellectuelle, mue par la défense de l’ordre républicain, lors même qu'ils n'ont de cesse, depuis plus de deux siècles, d'en honnir les principes : « Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité ». C’est au moment du processus révolutionnaire de 1789 qu’ont émergé les notions de droite et de gauche.
Par suite du Serment du Jeu de Paume (20 juin 1789) et du discours de Louis XVI aux membres de l’Assemblée nationale constituante du 23 juin 1789, s’opère une division au sein de la représentation nationale. Les députés favorables à la Révolution se placent à gauche de l’échiquier politique, les autres, à droite. Ainsi, émergent les notions de droite et de gauche, immuables, déterminant un rapport à l’ordre social jusque dans la classification politique contemporaine.
Quant à l’extrême-droite, faut-il le rappeler ? Elle condamne la Révolution, en rejette les principes universalistes, fraternels, et égalitaires qu’elle porte, parce qu’ils contreviennent à l’ordre inégalitaire du monde, à la volonté divine. Quant à ces fondamentaux, l’extrême-droite n’a guère dévié. Elle continue de discriminer les individus en fonction de leur origine, poussant le vice jusqu’à qualifier bon nombre d’entre eux de « Français de papier » ou encore de « Français d’origine étrangère ».
Il serait bon de le rappeler, de s’en souvenir et de cesser de faire le jeu du bloc central qui ne peut survivre qu’en divisant les forces politiques traditionnelles se refusant à lutter sous son égide ! Il s’ensuit une montée de la conflictualité, d'un manichéisme simplet et de l’intolérance, qui, aujourd’hui menacent notre République.
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